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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/279

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un peu consolée. Mais à quelque temps de là, mon tuteur voulut me faire sortir un jeudi. Je refusai d’aller chez lui : ne me demandez pas pourquoi, monsieur. Il me répondit bien doucement que j’étais une petite capricieuse. Et il me laissa tranquille. Mais, le surlendemain, mademoiselle Préfère vint à moi avec un air si méchant que j’eus peur. Elle tenait une lettre à la main. « Mademoiselle, me dit-elle, votre tuteur m’apprend qu’il a épuisé toutes les sommes qui vous appartenaient. N’ayez pas peur : je ne veux pas vous abandonner ; mais vous conviendrez qu’il est juste que vous gagniez votre vie. »

Alors elle m’employa à nettoyer la maison et, quand j’étais en faute, elle m’enfermait dans un grenier pendant des journées. Voilà, monsieur, ce qui est arrivé en votre absence. Si j’avais pu vous écrire, je ne sais pas si je l’aurais fait, parce que je ne croyais pas qu’il vous fût possible de me tirer du pensionnat, et comme M. Mouche ne revenait pas me voir, rien ne pressait. Je pouvais attendre dans le grenier et dans la cuisine.

— Jeanne, m’écriai-je, dussions-nous fuir jusqu’en Océanie, l’abominable Préfère ne vous