Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/298

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nez leur conversation de l’an passé, sur le blond vénitien. Ils la poursuivirent vivement. Je me demandais ce que je faisais là en vérité. Il ne me restait plus qu’à tousser pour me faire entendre. Quant à placer un mot, ils ne m’en donnaient guère l’occasion. Gélis parlait avec enthousiasme non seulement des coloristes vénitiens, mais encore du reste des choses humaines et naturelles. Et Jeanne lui répondait : « Oui, monsieur, vous avez raison… C’est précisément ce que je pensais, monsieur… monsieur, vous exprimez très bien ce que je ressens… Je réfléchirai, monsieur, à ce que vous venez de dire là. »

Quand je parle, mademoiselle ne me répond pas de ce ton. C’est du bout des lèvres qu’elle goûte ce que je dis, et elle en rejette une bonne moitié. Mais M. Gélis faisait en toute chose autorité. En réponse à tout son bavardage c’était des : « Oh ! oui. Oh ! certainement. » Et les yeux de Jeanne ! Je ne les avais jamais vus si grands et si fixes ; mais son regard était comme toujours franc, naïf et brave. Gélis lui plaisait ; elle admirait Gélis, et ses yeux révélaient ce sentiment, ils l’eussent crié à tout l’univers. — Tout beau ! maître Bonnard, en observant votre pupille vous