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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/323

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J’approchai du berceau près duquel la mère se tenait immobile, attachée par toutes les puissances de son âme.

Le petit Sylvestre tourna lentement vers moi ses prunelles qui montaient sous ses paupières et ne voulaient plus redescendre.

— Parrain, me dit-il, il ne faut plus me dire des histoires.

Non, il ne fallait plus lui dire des histoires !

Pauvre Jeanne, pauvre mère !

Je suis trop vieux pour rester bien sensible, mais, en vérité, c’est un mystère douloureux que la mort d’un enfant.

Aujourd’hui, le père et la mère sont revenus pour six semaines sous le toit du vieillard. Les voici qui reviennent de la forêt en se donnant le bras. Jeanne est serrée dans son châle noir et Henri porte un crêpe à son chapeau de paille ; mais ils sont tous deux brillants de jeunesse et ils se sourient doucement l’un à l’autre, ils sourient à la terre qui les porte, à l’air qui les baigne, à la lumière que chacun d’eux voit briller dans les yeux de l’autre. Je leur fais signe de ma fenêtre avec mon mouchoir et ils sourient à ma vieillesse.