Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jeune elle avait dû épouser et qui plus tard avait touché son cœur, fût souvent représenté par les poètes sous un aspect amoureux et héroïque ; et ce fut peut-être par un sentiment gracieux, en pensant à Marie Mancini, son amie, qu’elle choisit Bérénice pour l’héroïne du poème. Car cette nièce de Mazarin, que Louis XIV sacrifia aux intérêts de l’État, fait songer bien mieux qu’Henriette d’Angleterre à la reine de Palestine que Titus aimait et qu’il renvoya malgré lui et malgré elle.

La duchesse d’Orléans ne vit point les deux tragédies qu’elle avait inspirées. Quand Bérénice parut à l’hôtel de Bourgogne, le 21 novembre 1670, Henriette avait passé « comme l’herbe des champs4 » ; elle était morte depuis six mois. La tragédie de Corneille, Tite et Bérénice, fut représentée la semaine suivante sur le théâtre de Molière. Elle fut mal jouée et tomba. La belle élégie de Racine fut mieux accueillie.

Bajazet parut en janvier 1672,3 l’hôtel de Bourgogne, en « habit turc ». Pendant une des représentations, Corneille dit à Segrais : « Je me garderois bien de le dire à d’autres que vous, parce qu’on diroit que j’en parlerois par jalousie ; mais prenez-y garde, il n’y a pas un seul personnage dans le Bajazet qui ait les sentiments qu’il doit avoir et que l’on a à Constanti-nople. » Tous les ennemis de Racine redirent que les Turcs de Racine n’étaient pas de vrais Turcs. Ils touchèrent, tels qu’ils étaient, et Bajazet se soutint au théâtre. Certes, Corneille n’était pas jaloux, mais il

1. Bossuet, Oraison funèbre de la duchesse d’Orléans.