Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/153

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six mois de là, Ipkigênie se montra à la ville, qui fut du même goût que la cour, et bien des larmes furent versées. Racine était à l’époque la plus brillante de sa vie. Ses ennemis semblaient vaincus ; il avait pour lui le public, Condé, les Mortemart, le roi ; il avait pour lui Boileau et la raison.

Mais, pendant qu’il s’occupait à faire paraître sa Phèdre au théâtre, on préparait en haut lieu la ruine du poète. Le complot se tramait à l’hôtel de Bouillon. Une Mancini y régnait, orgueilleuse, turbulente, dominatrice. « Elle savoit, parloit bien, disputoit volontiers et quelquefois alloit à la botte*. » La duchesse de Bouillon se piquait de faire et de défaire les poètes. Le duc de Nevers, son frère, était un bel esprit ; il rimait des petits vers de grand seigneur que Mma de Sévigné jugeait les meilleurs du monde. La sœur et le frère étaient du parti de Segrais et de Benserade. Ils regardaient Boileau comme un ennemi ; ils goûtaient peu Racine et résolurent de le faire tomber. Mm" des Houlières, leur vieille Muse, leur avait donné un poète pour le remplacer : Pradon. Ce Pradon était un petit génie, naturellement envieux, qui, dans la préface d’un Tamerlan, avait pris soin d’informer le public qu’il fallait voir en lui un dangereux rival de Racine. C’était l’homme qu’il fallait : on lui commanda une Phèdre ; il se hâta, on l’aida, en quelques semaines on fut prêt. Mais on n’avait pas la Champmeslé ; tant mieux après tout : Racine, s’il était applaudi, ne devrait son succès qu’à sa comédienne. M1’0 du Pin prit le rôle, et la

i. Salât-Simon, Mémoires.

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