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Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/193

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traversa le potager sans souci de marcher dans les plates-bandes, sauta par-dessus les murs, rejoignit les amis qui l’attendaient dans le jardin du Luxembourg, ôta sa robe et son scapulaire, revêtit les habits qu’on lui avait apportés, respira et alla se réjouir au cabaret avec les complices de son évasion. Il n’en sortit que le lendemain matin pour aller voir l’évêque d’Amiens, qui était alors à Paris. Monseigneur, qui le reçut avec beaucoup d’embarras, l’instruisit, en douceur, des difficultés que le bref avait soulevées. Il devait à sa mitre d’admonester un moine défroqué. Il le fit avec toute la bénignité de son âme. « On parle en tous lieux de votre humeur légère, mon fils, dit-il ; vous ferez sagement de retourner à Saint-Germain-des-Prés ; en vous observant mieux, vous ferez taire les mauvais propos. » Prévost fut étonné.

Point de bref pour excuser son évasion. Son cas était grave ; il pouvait être appréhendé et puni. Mais, de l’humeur qu’il était, un voyage ne lui coûtait guère. Il fit son sac et s’enfuit en Hollande. Il connaissait déjà cette terre de refuge. Il y vécut comme il put, fut d’abord garçon de café, puis loua une boutique et y donna la comédie. Il était à la fois directeur, auteur et acteur. Voilà un homme de ressources ! Tout son bien se composait alors de ce gros manuscrit qu’il avait fait, pendant les nuits, à Saint-Germain-des-Prés. Il y donna les derniers coups de plume, et les Mémoires d’un homme de qualité furent imprimés à Paris et lus partout. Mlle Aïssé, qui dévora, comme tout le monde, ces six volumes de roman, y pleura du commencement à la fin et dit ensuite que le livre n’était pas bon. Cette