Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/225

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abeilles se nourrir des fleurs de ses arbres. Il avait craint pour ses pêchers et ses abricotiers le froid de la nuit qu’il n’eût point senti sans cela. Il avait vécu en paix, il était mort dans l’espérance. Saint-Pierre venait à son tour vivre, penser, désirer, souffrir dans ce quartier traditionnel des bonnes mœurs et de l’étude. On franchissait, pour l’aller voir, une porte cochère verte. On prenait dans la cour, à droite, un petit escalier qu’on montait jusqu’à ce qu’on en trouvât la fin. Le logis était propre et bien en ordre. Mais le locataire morose craignait, dans les mauvais jours, / d’être emporté d’un coup de vent avec son donjon qui branlait. « Pour peu que les chaleurs de la canicules soient fortes, je ne peux pas manquer d’y être rôti, disait-il. Et, si j’évite ce malheur, j’y serai infailliblement gelé au mois de janvier. » Et il engageait le bon M. Hennin, son protecteur, à le venir voir dans la saison tempérée. M. Hennin, premier commis aux affaires étrangères sous M. de Vergennes, venait, content ce jour-là d’être échappé de Versailles. La table de noyer était chargée d’un repas raisonnable. Mais on ne parlait que de laitage et de fruits, parce qu’on aimait alors à se faire berger et que la reine était fermière à Trianon. Saint-Pierre faisait le punch en marin. Il s’oubliait, devenait bon et simple. Sur la fenêtre, d’où l’on voyait un jardin, il y avait un fraisier.

Quand l’hiver était passé, à la première violette, le solitaire quittait son donjon dès l’aube et s’en allait à pied à Versailles rendre visite à M. Hennin. Et dans cette promenade il mêlait au souci de ses propres affaires l’intérêt de la nature et le sentiment des

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