Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/279

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pour rien, il attendait une place dans la diplomatie ou des travaux de plume.

Il vit Lucile et l’aima. Ce fut une tendresse triste et pure, une sympathie profonde. Ils avaient besoin l’un de l’autre pour se redonner le goût de la vie. Lucile, plus âgée que lui, fut touchée : toutes les fibres de sa nature aimante résonnèrent à ce choc. Si jeune qu’elle parût, elle avait près de quarante ans ; c’était le bonheur qui venait, mais il venait trop tard : elle n’eut pointl’audace de le saisir, elle n’eut point le courage de le repousser. Elle prit le parti qui devait causer le plus de peine à l’un et à l’autre ; ils étaient tous deux avides de tristesse. Elle refusa de l’épouser, mais elle lui promit de ne jamais épouser un autre que lui. L’idée d’un s’acrifice l’avait tout de suite tentée, et il y avait en elle des aspirations qu’une fortune tout unie et ordinaire n’aurait point satisfaites.

« Je suis désintéressée de mon bonheur, lui dit-elle ; l’engagement que j’ai pris avec vous de ne point me marier a pour moi du charme, parce que je le regarde presque comme un lien, comme une espèce de manière de vous appartenir. »

Elle partit l’été pour Saint-Aubin-du-Cormier, à quatre lieues de Fougères, sur la route de Rennes. Elle demeurait là chez Mmo de Chateaubourg, sa sœur aînée. Elle n’aurait pas eu où reposer sa tête ; elle était aussi pauvre qu’on peut l’être. Mais il fallait peu de choses pour la contenter. Elle sentit une joie d’enfant quand on lui donna, à Lascardais, un petit jardin où elle pouvait lire et rêver sans être vue.

Dès qu’elle fut loin de Chênedollé, elle voulut le