Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/280

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voir ; elle lui fit un appel de détresse. Il dut venir avec mystère ; elle craignait les taquineries de Mma de Chateaubriand. Il vint. Elle lui dit :

« Monsieur de Chênedollé, ne me trompez-vous point ? m’aimez-vous ? ï

C’était trop de faiblesse. Elle reprit vivement :

« Ne croyez pas au moins que je veuille vous épouser. Je ne ferai jamais mon bonheur aux dépens du vôtre. »

Sans doute ces nobles esprits trouvèrent alors des paroles d’apaisement et de générosité. Il dit avec résignation :

« Je serai heureux d’avoir passé un instant à côté de vous dans la vie : il me semble avoir passé à côté d’une fleur charmante dont j’ai emporté quelques parfums. »

Puis il y eut de nouveaux élans, de nouvelles prières. Lucile fut vaincue. II emporta cette parole d’elle :

« Je ne dis pas non. »

Il retourna dans son beau jardin de Vire, avec ses espérances et ses craintes. De là, il régna, plein d’inquiétude, sur cette âme incertaine et charmante. Il exprimait dans ses lettres une idolâtrie fervente et des jalousies délicates. Il voulait que les petits contes que Lucile écrivait avec tant d’agrément fussent pour lui seul et qu’on ne les livrât pas brutalement à la foule dans une feuille publique comme on avait fait en imprimant dans le Mercure l’Arbre sensible et l’Origine de la rose. Lucile répondit d’abord, puis cessa toutà coup d’écrire. Que s’était-il passé ? On ne le sait, et peut-