Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/292

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tendis, l’autre jour, un très grave et très excellent homme, contemporain de Joseph Delorme, conter, en petit comité, quelque légère aventure de jeunesse. 11 nous dit très simplement qu’il se promenait sous le balcon de sa belle, une tête de mort à la main. Il ajouta que, la fenêtre ayant tardé à s’ouvrir, il mit le crâne dans le fond de sa malle pour ne plus l’en tirer qu’à bon escient.

Sainte-Beuve lui-même, environ ce temps, reçut, une nuit, la visite d’une jeune et très illustre dame : elle lui remit une tète de mort préparée pour l’étude. Le crâne scié formait couvercle et s’ouvrait sur charnières. Elle avait mis dedans une mèche de ses cheveux : « Vous remettrez cela à A***, » dit-elle.

Et, pour passer de la vie à la poésie, je retrouve l’inévitable tête de mort dans une épître adressée par Sainte-Beuve à Fontaney. Le poète y décrit la chambre ménagée dans quelque abbaye ruinée. Un escalier tournant y mène ; elle est discrètement éclairée par une fenêtre à ogives et pleines de recoins. On y voit un vieux fauteuil et une table de sapin,

Des papiers, des habits, un portrait effacé Qui fut cher autrefois, un herbier commencé, Pinceaux, flûte, poignards sur la même tablette, Un violon perclus logé dans un squelette.

Pourtant, Sainte-Beuve, il faut le dire, ne donna guère dans cette mode et la quitta vite.

Une indication complète le caractère de son Joseph Delorme et le rattache à toute la bourgeoisie de 1828. Sainte-Beuve nous le représente comme un