Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/293

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libéral très sincère, mais très modéré, juste milieu dans sa fièvre même, comme M. Auguste Barbier se montra un peu plus tard dans les ïambes. Joseph vécut assez pour voir M. de Martignac aux affaires et mourut alors un peu rassuré. Ce trait donne bien la mesure de cette bourgeoisie d’alors, qui préparait son avènement et devait bientôt commencer son règne de dix-huit années.

Quant à la phtisie dont mourut Joseph Delorme, elle n’effleura jamais Sainte-Beuve, qui, pour tout dire, était bien un Joseph Delorme, mais un Joseph Delorme qui sait ce qu’il faut prendre des choses et ce qu’il faut en laisser, et qui, tout pesé, consent très volontiers à vivre.

Ce fantôme bourgeois coula dans le monde littéraire, admiré par les uns, moqué par les autres. 11 y eut à son sujet scission au Globe. M. Guizot trouva le mot excellent de Werther jacobin et carabin. « C’est immoral, » disait Mme de Broglie. Une autre, plus sensible, fut touchée et s’écria en soupirant : « Si je l’avais connu, je l’aurais consolé ! » Sainte-Beuve, en homme avisé, la prit au mot.

En somme, cette création est venue à son heure ; elle ferme, avec YÉmile de M. de Girardin, le cycle des jeunes ténébreux.

Les poésies de Joseph Delorme, bien que très mêlées de sentiment et d’inspiration et très diverses de ton, sont en somme des poésies intimes : ce fut leur originalité, et le poète se montre très hardi â cet égard. C’est le menu paysage, c’est l’élégie détaillée qu’il apporte.