Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

salle introuvable du faubourg Saint-Honoré, était son œuvre de prédilection, et on comprendra ce goût quand on saura que le héros de la pièce, cet illustre Brizacier, est un vieux comédien vagabond, sans talent, mais amoureux du théâtre comme Don Quichotte de la chevalerie. En un mot, c’est Glatigny.

Glatigny avait composé dès 1868 un Testament de l’illustre Brizacier, qui me touche beaucoup plus, je l’avouerai, que la pièce de théâtre. Le ton en est franc, le style âpre, le sentiment vrai ’. Je ne retrouve ni cette âpreté ni cette franchise dans les tirades empanachées de la comédie.

Je vis Glatigny quelques jours avant sa mort, dans la petite maison située au pied du coteau de Sèvres, sur le bord d’un chemin en pente, raviné par les pluies, où il recevait les soins assidus de sa mère et de sa femme. Faible a ne pouvoir bouger, secoué par des accès de toux dans lesquels il pensait rendre l’âme, certain enfin de ne pas guérir, il imaginait de grosses plaisanteries pour égayer sa jeune femme. Je le trouvai qui faisait avec un soin minutieux un théâtre de carton pour un enfant. 11 y avait de deux côtés de sa chambre des bibliothèques qui étaient en même temps, par un agencement ingénieux, des caisses pour le voyage et des tablettes pour le séjour. Dans ces demeures de bois habitaient des poètes vêtus honorablement. Tel recueil de Théodore de Banville était relié en maroquin bleu ; tel livre de Victor Hugo était habillé de vélin blanc. Ces reliures si délicates, si

1. Voir le livre de M. Job-Lazare, pp. 78 et suivantes.