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les moins fines, ont été ouvrées fort tard à Constantinople, on n’osera pas jurer que Longus n’ait point été moine. Son livre est bien payen, certes. Mais il est copié sur l’antique. Il serait surprenant, mais non impossible, que cet Érôs d’ivoire, d’un si curieux travail, ait été sculpté dans la cellule d’un moine bibliothécaire. Ce moine-là, s’il exista jamais, devait avoir une petite tête étrangement et merveilleusement meublée. L’imaginez-vous, maigre, jaune, desséché, à face de momie, avec des yeux éteints, qui s’usèrent sur tous les manuscrits des poètes et qui ne virent jamais un arbre ?

Quoi qu’il en soit, le roman de Daphnis et Chloé est tard venu. C’est un livre d’arrière-saison. Adieu, paniers, les vendanges sont faites sur les coteaux des Muses ! Mais celui-ci arrive à temps encore pour cueillir plus d’une grappe avec ses pampres. Il va, pour emplir sa corbeille, de la vigne d’Anacréon au verger de Théocrite. Il y eut de tout temps, dans cette belle littérature antique, un goût de libre imitation qui, ressenti vivement par les écrivains de la dernière heure, les retient dans la pureté, les ramène au vrai beau. Comme des jeunes filles reçoivent de leurs aînées et laissent à de plus jeunes les couronnes et les baguettes qui servent au jeu des grâces, les poètes antiques se passaient des cadres et des formes d’idylles, d’odes, d’épigrammes.

La prose travaillée des derniers venus s’appropria ces formes et ces cadres, et aussi des canevas tout tracés. Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé sont remplis de ces petits trésors tant de fois vus et tou-