Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/107

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Le 9 thermidor rendit la vie supportable à la petite société de la rue de Lancry. Ma grand’mère goûta fort ce changement ; mais il lui fut impossible de garder rancune aux hommes de la Révolution. Elle ne les admirait pas, — elle n’a jamais admiré que moi, — mais elle n’avait point de haine contre eux ; il ne lui vint jamais en tête de leur demander compte de la peur qu’ils lui avaient faite. Cela tient peut-être à ce qu’ils ne lui avaient point fait peur. Cela tient surtout à ce que ma grand’mère était une bleue, une bleue dans l’âme. Et, comme a dit l’autre, les bleus seront toujours les bleus.


Cependant Danger poursuivait à travers tous les champs de bataille sa brillante carrière. Toujours heureux, il était en grand uniforme, à la tête de sa brigade, quand il fut tué d’un boulet de canon le 20 avril 1808, dans le beau combat d’Abensberg.

Ma grand-mère apprit par Le Moniteur qu’elle était veuve et que le brave général Danger « était enseveli sous les lauriers ».