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Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/177

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Fuis avec un grand soin la pratique des femmes ;
Ton ennemi par là peut savoir ton défaut.
Recommande en commun aux bontés du Très-Haut
Celles dont les vertus embellissent les âmes,
Et, sans en voir jamais qu’avec un prompt adieu,
Aime-les toutes, mais en Dieu.

Je suivais le conseil du vieux moine mystique ; mais, si je le suivais, c’était bien malgré moi. J’aurais voulu voir les femmes avec un adieu moins prompt.

Parmi les amies de ma mère, il en était une auprès de laquelle j’aurais particulièrement aimé me tenir et causer longtemps. C’était la veuve d’un pianiste mort jeune et célèbre, Adolphe Gance. Elle se nommait Alice. Je n’avais jamais bien vu ni ses cheveux, ni ses yeux, ni ses dents… Comment bien voir ce qui flotte, brille, étincelle, éblouit ? mais elle me semblait plus belle que le rêve et d’un éclat surnaturel. Ma mère avait coutume de dire qu’à les détailler les traits de madame Gance n’avaient rien d’extraordinaire. Chaque fois que ma mère exprimait ce sentiment, mon père secouait la tête avec incrédulité. C’est qu’il faisait sans doute comme moi, cet excellent