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Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/39

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Elle me répondit qu’il y fallait, au contraire, une grande âme et un beau talent, mais je ne la compris pas. Je n’entendais rien alors à la volupté des larmes.

La voiture nous arrêta dans l’Île Saint-Louis, devant une vieille maison que je ne connaissais pas. Et nous montâmes un escalier de pierre, dont les marches usées et fendues me faisaient grise mine.

Au premier tournant, un petit chien se mit à japper : « C’est lui, pensai-je, c’est le chien des enfants d’Édouard. » Et une peur subite, invincible, folle, s’empara de moi. Évidemment, cet escalier, c’était celui de la tour, et, avec mes cheveux découpés en bonnet et ma blouse de velours, j’étais un enfant d’Édouard. On allait me faire mourir. Je ne voulais pas ; je me cramponnai à la robe de ma mère en criant :

— Emmène-moi, emmène-moi ! Je ne veux pas monter dans l’escalier de la tour.

— Tais-toi donc, petit sot… Allons, allons, mon chéri, n’aie pas peur… Cet enfant est vraiment trop nerveux… Pierre, Pierre, mon petit bonhomme, sois raisonnable.