Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/56

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voleur, au naufrage, à l’incendie. Tous ces appareils de buis verni et de fer me parurent froids, lourds, sans caprice et sans âme, jusqu’à ce que ma marraine y eût mis, en m’en enseignant l’usage, un peu de son charme. Elle soulevait les haltères avec beaucoup de crânerie, et, portant les coudes en arrière, elle me montrait comment les barres, passées sur le dos et sous les bras, développent la poitrine.

Un jour, elle me prit sur ses genoux et me promit un bateau, un bateau avec tous ses gréements, toutes ses voiles et des canons aux sabords. Ma marraine parlait marine comme un loup de mer. Elle n’oubliait ni hune, ni dunette, ni haubans, ni perroquet, ni cacatois. Elle n’en finissait point avec ces mots étranges et elle mettait comme de l’amitié à les dire. Ils lui rappelaient sans doute bien des choses. Une fée, cela va sur les eaux.

Je ne l’ai pas reçu, ce bateau. Mais je n’ai jamais eu besoin, même en bas âge, de posséder les choses pour en jouir, et le bateau de la fée m’a occupé bien des heures. Je le voyais. Je le vois encore. Ce n’est plus un jouet. C’est