Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/89

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Je ne sais pas, en vérité, ce que je serais devenu si la servante de ma grand’mère ne m’eût pas emmené de cette chambre.

Elle me prit par la main, me mena chez un marchand de jouets et me dit :

— Choisis.

Je choisis une arbalète et je m’amusai à lancer des pois chiches dans les feuilles des arbres.

J’avais oublié ma grand’mère.

C’est le soir seulement, en voyant mon père, que les pensées du matin me revinrent. Mon pauvre père n’était plus reconnaissable. Il avait le visage gonflé, luisant, plein de feux, les yeux noyés, les lèvres convulsives.

Il n’entendait pas ce qu’on lui disait et passait de l’accablement à l’impatience. Près de lui, ma mère écrivait des adresses sur des lettres bordées de noir. Des parents vinrent l’aider. On me montra à plier les lettres. Nous étions une dizaine autour d’une grande table. Il faisait chaud. Je travaillais à une besogne nouvelle ; cela me donnait de l’importance et m’amusait.

Après sa mort, ma grand’mère vécut pour