Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/90

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moi d’une seconde vie plus remarquable que la première. Je me représentais avec une force incroyable tout ce que je lui avais vu faire ou entendu dire autrefois, et mon père faisait d’elle tous les jours des récits qui nous la rendaient vivante, si bien que parfois, le soir, à table, après le repas, il nous semblait presque l’avoir vue rompre notre pain. Pourquoi n’avons-nous pas dit à cette chère ombre ce que dirent au Maître les pèlerins d’Emmaüs :

— Demeurez avec nous, car il se fait tard et déjà le jour baisse.

Oh ! quel gentil revenant elle faisait, avec son bonnet de dentelles à rubans verts ! Il n’entrait pas dans la tête qu’elle s’accommodât de l’autre monde. La mort lui convenait moins qu’à personne. Cela va à un moine de mourir, ou encore à quelque belle héroïne. Mais cela ne va pas du tout à une petite vieille rieuse et légère, joliment chiffonnée, comme était grand’maman Nozière.

Je vais vous dire ce que j’avais découvert tout seul, quand elle vivait encore.

Grand’maman était frivole ; grand’maman