Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait une morale facile ; grand’maman n’avait pas plus de piété qu’un oiseau. Il fallait voir le petit œil rond qu’elle nous faisait quand, le dimanche, nous partions, ma mère et moi, pour l’église. Elle souriait du sérieux que ma mère apportait à toutes les affaires de ce monde et de l’autre. Elle me pardonnait facilement mes fautes et je crois qu’elle était femme à en pardonner de plus grosses que les miennes. Elle avait coutume de dire de moi :

— Ce sera un autre gaillard que son père.

Elle entendait par là que j’emploierais ma jeunesse à danser et que je serais amoureux des cent mille vierges. Elle me flattait. La seule chose qu’elle approuverait en moi, si elle était encore de ce monde (où elle compterait aujourd’hui cent dix ans d’âge), c’est une grande facilité à vivre et une heureuse tolérance que je n’ai pas payées trop cher en les achetant au prix de quelques croyances morales et politiques. Ces qualités avaient chez ma grand’mère l’attrait des grâces naturelles. Elle mourut sans savoir qu’elle les possédait. Mon infériorité est de connaître que je suis tolérant et sociable.