Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/12

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C’était la seconde fois qu’il le lui demandait. Elle n’aimait pas à voir de nouveaux visages. Elle répondit avec beaucoup de détachement :

— Votre sculpteur ? Quand vous voudrez. J’ai vu de lui, au Champ de Mars, des médaillons qui sont très bien. Mais il produit peu. C’est un amateur, n’est-ce pas ?

— C’est un délicat. Il n’a pas besoin de travailler pour vivre. Il caresse ses figures avec une lenteur amoureuse. Mais ne vous y trompez pas, madame : il sait et il sent ; ce serait un maître s’il ne vivait pas seul. Je le connais depuis l’enfance. On le croit malveillant et chagrin. C’est un passionné et un timide. Ce qui lui manque, ce qui lui manquera toujours pour atteindre au plus haut de son art, c’est la simplicité d’esprit. Il s’inquiète, se trouble et gâte ses plus belles impressions. À mon avis, il était moins fait pour la statuaire que pour la poésie ou la philosophie. Il sait beaucoup, et vous serez étonnée de la richesse de son esprit.

Madame Marmet, bienveillante, approuva.

Elle plaisait au monde en paraissant s’y plaire. Elle écoutait beaucoup et parlait peu. Très complaisante, elle donnait du prix à sa complaisance en la faisant un peu attendre. Soit qu’elle eût vraiment du goût pour madame Martin, soit qu’elle sût montrer dans chaque maison où elle