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Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/122

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— Nous voulons être aimées, et quand on nous aime, on nous tourmente ou on nous ennuie.

La journée s’acheva en lectures et en rêveries. Choulette n’avait pas reparu. La nuit couvrit peu à peu de ses cendres grises les mûriers du Dauphiné. Madame Marmet s’endormit d’un sommeil paisible, reposant sur elle-même comme sur un amas d’oreillers. Thérèse la regarda et songea :

— C’est vrai qu’elle est heureuse, puisqu’elle aime à se rappeler.

La tristesse de la nuit lui entra dans le cœur. Et, lorsque la lune se leva sur les champs d’oliviers, voyant passer ces douces lignes de plaines et de coteaux et couler les ombres bleues, Thérèse, dans ce paysage où tout parlait de paix et d’oubli et rien ne lui parlait d’elle, regretta la Seine, l’Arc de Triomphe et ses rayons d’avenues, les allées du Bois, où, du moins, les arbres et les pierres la connaissaient.

Soudain, avec une brusquerie sournoise, Choulette se jeta dans le wagon. Armé de son bâton noueux, le visage, la tête tout enveloppés de lainages rouges et de peaux farouches, il lui fit presque peur. C’est ce qu’il voulait. Ses attitudes violentes et sa mise sauvage étaient toujours étudiées. Sans cesse occupé d’effets puérils et bizarres, il se plaisait à paraître effrayant. Prompt lui-même à l’épouvante, il était content d’inspirer