Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/327

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montés de lions, se dressa, sous sa couronne de fer à quatre fleurons, la grille, fermée. À travers les barreaux, on découvrait au bout d’une profonde allée de tilleuls les pierres grises du château.

— Oui, dit Montessuy, c’est le Guerric.

Et, s’adressant à Thérèse :

— Tu as bien connu le marquis de Ré… À soixante-cinq ans, il avait gardé sa force, sa jeunesse. Il faisait la mode, décidait des élégances et était aimé. Les jeunes gens copiaient sa redingote, son monocle, ses gestes, son insolence exquise, ses manies amusantes. Tout à coup, il abandonna le monde, ferma son hôtel, vendit son écurie, ne se montra plus. Tu te rappelles, Thérèse, sa brusque disparition ? Tu étais mariée depuis peu de temps. Il allait te voir assez souvent. Un jour, on apprit qu’il avait quitté Paris. C’est ici, au Guerric, qu’il était allé en plein hiver. On chercha les raisons de cette retraite subite, on pensa qu’il avait fui sous le coup de quelque chagrin, dans l’humiliation d’un premier échec et de peur qu’on ne le vît vieillir. La vieillesse, voilà ce qu’il redoutait le plus. Le fait est que depuis six ans qu’il est retiré, il n’est pas sorti une seule fois de son château et de son parc. Il reçoit au Guerric deux ou trois vieillards qui furent les compagnons de sa jeunesse. Cette grille ne s’ouvre que pour eux. Depuis sa