Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/328

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retraite, on ne l’a jamais vu ; on ne le verra jamais. Il met à se cacher l’énergie qu’il mit à paraître. Il n’a pas souffert qu’on épiât son déclin. Il est mort vivant. Je ne trouve pas cela méprisable.

Et Thérèse, se rappelant l’aimable vieillard qui avait voulu finir glorieusement par elle sa vie galante, tourna la tête et regarda le Guerric, dressant sur les cimes grises des chênes ses quatre tours en poivrières.

Au retour de la promenade, elle dit qu’elle avait la migraine et qu’elle ne pourrait pas dîner. Elle s’enferma dans sa chambre et tira de son coffre à bijoux la lettre désolante. Elle relut la dernière page.

« La pensée que tu es à un autre me brûle et me déchire. Et puis, je ne voulais pas que ce fût celui-là ! »

C’était une idée fixe. Il avait mis trois fois sur le même feuillet ces mots :

« Je ne voulais pas que ce fût celui-là ! »

Elle aussi n’avait qu’une idée : ne pas le perdre. Pour ne pas le perdre, elle eût tout dit, tout fait. Elle se mit à sa table, écrivit, dans l’élan d’une tendre et plaintive violence, une lettre où elle répétait comme un gémissement : « Je t’aime, je t’aime, je n’ai jamais aimé que toi. Tu es seul, seul, entends-tu ? dans mon âme, dans tout moi. N’écoute pas un misérable. Écoute-moi.