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ne sauraient pas me parler de toi n’auraient rien à me dire.

Pendant qu’il s’habillait, elle feuilletait un livre qu’elle avait trouvé sur la table. C’était les Mille et une Nuits. Des gravures romantiques étalaient çà et là, dans le texte, des vizirs, des sultanes, des eunuques noirs, des bazars, des caravanes.

Elle demanda :

Les Mille et une Nuits, cela vous amuse ?

— Beaucoup, répondit-il en nouant sa cravate. Je crois, quand je veux, à ces princes arabes dont les jambes sont devenues de marbre noir et à ces femmes de harem qui errent la nuit dans les cimetières. Ces contes me donnent des rêves faciles, qui font oublier la vie. Hier soir, je me suis couché tout triste, et j’ai lu dans mon lit l’histoire des trois Calenders borgnes.

Elle dit, avec un peu d’amertume :

— Tu cherches à oublier ! Moi, je ne consentirais pour rien au monde à perdre le souvenir d’une peine qui me vient de toi.

Ils descendirent ensemble dans la rue. Elle devait prendre une voiture un peu plus loin et le précéder chez elle de quelques minutes.

— Mon mari vous attend à déjeuner.

Ils parlaient en chemin de choses petites, que leur amour faisait grandes et charmantes. Ils