Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/353

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ciées. Il avait le sens de la chicane. Ayant commencé sa fortune politique par des articles adroitement faits pour lui valoir des poursuites, des procès et quelques semaines de prison, il avait considéré, depuis lors, la presse comme une arme d’opposition, que tout bon gouvernement devait briser. Depuis le 4 septembre 1870, il rêvait de devenir garde des sceaux pour qu’on vît comment le vieux bohème, l’habitué de Pélagie au temps de Badinguet, le répétiteur de droit qui, jadis, expliquait le code en soupant d’une choucroute garnie, saurait se montrer chef suprême de la magistrature.

Des sots, par douzaines, lui avaient grimpé sur le dos. Vieilli dans les médiocres honneurs du Sénat, mal décrassé, acoquiné à une fille de brasserie, pauvre, paresseux, désabusé, son vieil esprit jacobin et son mépris sincère du peuple, survivant à ses ambitions, faisaient de lui encore un homme de gouvernement. Cette fois, entré dans la combinaison Garain, il croyait tenir la Justice. Et son protecteur, qui ne la lui donnait pas, devenait un rival importun. Il ricana, occupé à modeler dans la mie de pain un petit caniche.

M. Berthier d’Eyzelles, très calme, très grave, très morne, caressa ses beaux favoris blancs :

— Ne pensez-vous pas aussi, monsieur Garain, qu’il conviendrait de faire une place dans le