Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/357

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Thérèse se leva. Le sénateur Loyer lui offrit le bras avec les belles attitudes arrondies qu’il avait apprises quarante ans auparavant à Bullier. Elle laissa les hommes politiques au salon. Elle avait hâte de retrouver Dechartre.


Des brumes rousses couvraient la Seine, les quais de pierre et les platanes dorés. Le soleil rouge jetait dans le ciel nuageux les dernières gloires de l’année. Thérèse, en sortant de chez elle, goûta délicieusement la savoureuse âpreté de l’air et la splendeur mourante du jour. Depuis son retour à Paris, heureuse, elle s’égayait chaque matin de la nouveauté du temps. Il lui semblait, dans son égoïsme généreux, que c’était pour elle que le vent soufflait dans les arbres déchevelés ou que le gris fin de la pluie trempait l’horizon des avenues, ou que le soleil traînait dans le ciel frileux son bloc refroidi ; pour elle, et afin qu’elle pût dire en entrant dans la petite maison des Ternes : « Il fait du vent, il pleut, le temps est agréable », mettant ainsi l’océan des choses dans l’intimité de son amour. Et tous les jours se levaient beaux pour elle, puisqu’ils la ramenaient tous dans les bras de son ami.

Tandis qu’elle allait, ce jour-là comme les autres jours, à la petite maison des Ternes, elle songeait à son bonheur inattendu, si plein et