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Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/404

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Elle ne répondit pas. Tandis qu’il trempait dans le bol de verre ses doigts jaunes, il leva la tête et la vit si lasse et si défaite qu’il n’osa plus rien dire.

Il se trouvait devant un secret qu’il ne voulait pas connaître, devant une douleur intime qu’un seul mot pouvait faire éclater. Il en ressentit de l’inquiétude, de la peur et comme une sorte de respect.

Il jeta sa serviette :

— Excusez-moi, chère amie.

Et il sortit.

Elle essaya de manger. Elle ne put rien avaler. Tout lui donnait un dégoût insurmontable.

Vers deux heures elle revint à la petite maison des Ternes. Elle trouva Jacques dans sa chambre. Il fumait une pipe de bois. Une tasse de café, presque vide, était sur la table. Il la regarda avec une dureté dont elle fut glacée. Elle n’osait pas parler, sentant que tout ce qu’elle pourrait dire l’offenserait et l’irriterait, et que, discrète et muette, seulement en se montrant, elle ranimait sa colère. Il savait qu’elle reviendrait ; il l’avait attendue avec l’impatience de la haine, d’un cœur aussi anxieux qu’il l’attendait naguère dans le pavillon de la via Alfieri. Elle eut une lueur soudaine et elle vit qu’elle avait eu tort de venir ; qu’absente, il l’aurait désirée, voulue, appelée, peut-