Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/407

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Ils restèrent longtemps silencieux. Enfin elle dit, étonnée et plaintive :

— Mais, mon ami, vous deviez pourtant bien penser que telle que je suis, mariée comme je l’étais… On voit tous les jours des femmes apporter à leur amant un passé plus lourd que le mien et se faire aimer, pourtant. Ah ! mon passé, si vous pouviez savoir le peu que c’était !

— Je sais ce que vous donnez. On ne peut pas vous pardonner, à vous, ce qu’on pardonnerait à une autre.

— Mais, mon ami, je suis comme les autres.

— Non, vous n’êtes pas comme les autres. À vous, on ne peut rien pardonner.

Il parlait la bouche serrée, les dents haineuses. Ses yeux, ces yeux qu’elle avait vus si grands, chargés de flammes douces, maintenant secs, durs, rétrécis entre les paupières plissées, lui jetaient un regard nouveau. Il lui fit peur.

Elle alla se mettre au fond de la chambre, sur une chaise, et là, le cœur gros, les prunelles étonnées, comme un enfant, elle resta longtemps tremblante, étouffée de sanglots. Puis elle se mit à pleurer.

Il soupira :

— Pourquoi vous ai-je connue ?

Elle répondit dans ses larmes :

— Moi, je ne regrette pas de vous avoir connu. J’en meurs, et je ne regrette pas. J’ai aimé.