Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/56

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désire. Il eut lui-même les illusions qu’il donna aux peuples. Ce fut sa force et sa faiblesse, ce fut sa beauté. Il croyait à la gloire. Il pensait de la vie et du monde à peu près ce qu’en pensait un de ses grenadiers. Il garda toujours cette gravité enfantine qui se plaît aux jeux des sabres et des tambours, et cette sorte d’innocence qui fait les bons militaires. Il estimait sincèrement la force. Il fut l’homme des hommes, la chair de la chair humaine. Il n’eut pas une pensée qui ne fut une action, et toutes ses actions furent grandes et communes. C’est cette vulgaire grandeur qui fait les héros. Et Napoléon est le héros parfait. Son cerveau ne dépassa jamais sa main, cette main petite et belle, qui broya le monde. Il n’eut pas un seul moment le souci de ce qu’il ne pouvait atteindre.

— Alors, dit Garain, selon vous, ce n’est pas un génie intellectuel. Je suis de votre avis.

— Bien sûr, reprit Paul Vence, il avait le génie qu’il faut pour évoluer brillamment dans le cirque civil et militaire du monde. Mais il n’avait pas le génie spéculatif. Ce génie-là, c’est une autre paire de manches, comme dit Buffon. Nous possédons le recueil de ses écrits et de ses paroles. Le style a le mouvement et l’image. Et dans cet amas de pensées il ne se trouve pas une curiosité philosophique, pas un souci de