Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/149

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et je dus rompre avec Alphonse. Tout contact avec Honoré Dumont me fut également interdit. Fils d’un conseiller d’État, Honoré était de bonne famille et beau comme le jour, mais cruel envers les animaux et doué d’instincts pervers. Il n’était pas jusqu’à la famille Caumont, ruée en cuisine, et, père, mère, fils, fille, chien et chat, crevant de graisse en riant aux anges, qu’on ne m’empêchât de fréquenter depuis le jour où, ayant lavé à la pompe les encriers des Caumont somnolents, j’étais rentré à la maison trempé d’encre et d’eau depuis les pieds jusqu’à la tête. On me laissait au contraire toute liberté de rechercher la compagnie des époux Morin.

J’usais avec réserve de cette licence à l’égard de madame Morin qui, coiffée de grandes coques blanches comme la reine Marie-Amélie, la face longue et morne, plus jaune qu’un citron, exhalait la tristesse et la désolation. Si encore madame Morin eût inspiré à ceux qui l’approchaient une vaste tristesse, profonde et ténébreuse, une désolation d’une belle horreur, j’y eusse peut-être goûté l’espèce de plaisir que me procurait alors toute chose excessive, et hors de l’ordre accoutumé. Mais la tristesse de