Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/175

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corridor et s’approchait lentement. Je m’arrêtai et fus saisi d’épouvante en voyant peu à peu sortir de l’ombre une affreuse vieille, pliée en deux, le dos à la place de la tête et portant sur la poitrine un visage terreux, l’œil droit bouché par une loupe énorme. Je saisis le tablier de Mélanie. Quand l’apparition fut passée, ma bonne me dit que c’était la mère Cochelet. Mélanie n’en pouvait rien dire, ne causant jamais avec elle, non plus qu’avec personne, assertion que répétait souvent ma vieille amie, et qu’il ne fallait pas prendre au sens précis et littéral, mais comme un témoignage qu’elle se rendait elle-même de sa discrétion. La mère Cochelet habitait, au bout du corridor, un taudis infect. Pourtant, on ne la croyait pas dans le besoin, car elle avait trois chats à qui elle donnait chaque matin pour deux sous de mou. M. Bellaguet s’était offert plusieurs fois à la placer dans une maison de vieillards, mais elle s’y était refusée avec tant de force qu’il avait dû y renoncer.

— Elle est fière, ajouta Mélanie.

Puis baissant la voix :

— Elle est pour le roi (Mélanie prononçait roué). Et l’on dit qu’elle a, dans sa soupente,