Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/226

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les plus belles actions produisent parfois les pires effets, Hyacinthe, devenu en quelques instants un héros, se tint quitte pour le reste de sa vie de toutes les obligations auxquelles se soumet le vulgaire et n’eut plus ni foi ni loi. Il avait dépensé toute sa vertu en une seule journée. On doute s’il était à Waterloo et ce point ne sera probablement jamais éclairci. Déjà il fréquentait les cabarets et aimait mieux conter ses exploits que de les renouveler. Il accomplissait ses vingt-deux ans quand il fut licencié en 1815. Beau, vigoureux, gaillard, la coqueluche des femmes, le bourreau des cœurs, il fut aimé d’une tante de ma mère, paysanne riche, qu’il consentit à épouser et dont il fit danser les écus. En la trahissant, en la maltraitant, en la délaissant, il lui donnait des occasions nombreuses de montrer la ferveur de son idolâtrie et la folie de son amour. Après l’avoir accablée d’offenses, il pardonnait et elle le trouvait alors plus aimable que s’il eût été toujours fidèle. Parcimonieuse et même avare, elle se montrait pour lui follement prodigue. On le voyait, à cette époque, entre Paris et Pontoise, coiffé d’un chapeau gris à boucle d’acier, largement évasé par le haut, portant