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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/244

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fermer le robinet des eaux, et sa peur d’une inondation empoisonnait nos promenades, autrefois riantes et tranquilles.

Cet état de ma vieille bonne me surprenait sans m’inquiéter, ne songeant pas qu’il dût empirer. Mais, un soir, j’entendis mon père et ma mère qui se disaient à voix basse :

— Mon ami, Mélanie baisse de jour en jour.

— C’est une lampe qui n’a plus d’huile.

— Est-il bien prudent de laisser sortir Pierrot avec elle ?

— Ah ! ma chère Antoinette, elle aime trop l’enfant pour ne pas trouver encore dans son vieux cœur la force et l’intelligence de le protéger.

Cette parole m’ouvrit l’esprit ; je compris et je pleurai. L’idée que la vie s’écoule et fuit comme l’eau entrait pour la première fois dans mon esprit.

Depuis lors je m’attachais ardemment aux bras noueux, aux mains tordues de ma bonne Mélanie ; je l’embrassais, mais je l’avais déjà perdue.

Pendant l’été, qui fut très beau, elle reprit ses forces et recouvra la mémoire ; elle refleurissait dans son fourneau et ses casseroles ; et je