Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/245

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recommençais à la taquiner. Comme autrefois, elle allait tous les jours au marché et en revenait sans trop souffler, et sans que son panier pesât trop à son bras. Mais, dans la saison pluvieuse, elle se plaignit d’étourdissements. « Je suis comme une femme saoule, » disait-elle. Un matin qu’elle était sortie comme de coutume, on sonna à notre porte. C’était M. Ménage qui avait trouvé au pied de l’escalier Mélanie évanouie et nous la ramenait dans ses bras. Elle reprit bientôt connaissance et mon père nous dit qu’elle était sauvée pour cette fois. J’observai M. Ménage avec une vive curiosité et plus d’attention que n’en comportait mon âge, car j’avais fait plus de progrès dans la connaissance que dans la conduite. M. Ménage portait à la vérité une barbe rouge et fourchue, un chapeau de feutre à la Rubens, et des pantalons à la hussarde. Mais il ne ressemblait point à un homme qui boit du punch enflammé dans une tête de mort. Ayant étendu Mélanie sur un canapé, il lui soutenait la tête et faisait au naturel le bon Samaritain. Il avait l’air intelligent et doux. Ses beaux yeux un peu fatigués, tristes et tendres, regardaient amicalement les choses et je crus les