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les portraits au daguerréotype de monsieur et de madame Denizot et un vieux diplôme de maître d’armes tout fleuri de drapeaux tricolores. Je demandai qu’on fît déjeuner ma vieille bonne avec nous. Mais la fermière objecta que sa tante n’avait plus de dents, mangeait lentement, qu’elle avait l’habitude de prendre ses repas seule dans la salle et que, si nous la placions à table à nos côtés, elle se sentirait gênée.

Je déjeunai fort bien d’une omelette aux fines herbes, d’une aile de poulet au gros sel et d’un morceau de fromage ; je bus un doigt de vin bleu, et ma mère me conseilla d’aller faire une promenade autour de la ferme.

Le soleil, qui commençait à descendre, brisait ses flèches de feu contre les feuilles tranquilles des arbres. De légers nuages blancs se tenaient immobiles dans le ciel. Des alouettes chantaient au ras des champs. Une joie inconnue s’empara de mon âme. La nature pénétrait en moi par tous les sens et m’embrasait d’une ardeur délicieuse. Je criai, je bondis dans la futaie, ivre, en proie à ce délire que j’ai reconnu plus tard dans les poètes grecs qui célèbrent les danses des Ménades. Et comme