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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/31

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voir, mais précieux, puisqu’il fermait l’accès de la chambre aux esprits des ténèbres, créatures à deux dimensions, obscures et pernicieuses.

Un jour d’entre les jours (ainsi que disent les conteurs orientaux, incertains comme moi de la chronologie), un jour d’entre les jours de ma quatrième année, j’observai que, près du piano, le papier vert à ramages, crevé en étoile, laissait paraître quelques fils de serpillière, croisés sur un trou noir plus effrayant encore que la fente bouchée autrefois par M. Debas. Avec une impiété digne de la race audacieuse de Iapet, j’approchai l’œil de cette ouverture et vis des ténèbres vivantes qui me firent dresser les cheveux sur la tête ; j’y appliquai ensuite l’oreille et entendis une sinistre rumeur, tandis qu’un souffle glacial passait sur ma joue ; ce qui me confirma dans la croyance qu’il y avait derrière la tenture un autre monde.

Mon existence, à cette époque, était double. Naturelle et banale, parfois fastidieuse durant le jour, elle devenait surnaturelle et terrible, la nuit. Autour de mon petit lit, que de ses belles mains bordait sur moi ma mère, passaient