Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/324

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la pelouse, il tomba dans le bassin. De peur d’un rhume, d’une maladie de poitrine, on prit de grands soins pour le réchauffer. Je le vis dans son lit, sous un monstrueux édredon, coiffé d’un béguin à fleurs, riant aux anges. Il s’excusa, en me voyant, de m’avoir laissé seul, sans distraction.

Je n’avais ni frère, ni compagnon avec qui je pusse me comparer. En voyant Clément, je découvrais que la nature m’avait donné une âme agitée, pleine de trouble et d’ardeur, gonflée de vains désirs et de folles douleurs. Rien n’altérait le calme de son âme. Il ne tenait qu’à moi d’apprendre de lui que notre bonheur ou notre malheur dépend moins des circonstances que de nous-mêmes. Mais j’étais sourd aux leçons de la sagesse. Heureux encore si je n’eusse opposé à l’exemple du bon petit Clément celui d’un enfant violent dans ses jeux, insensé et malfaisant. Je fus cet enfant-là, je le fus au jugement du monde. Dois-je alléguer, pour me justifier, la nécessité, maîtresse des hommes et des dieux, qui me conduisit comme elle conduit l’univers ? Dois-je alléguer l’amour de la beauté qui m’inspira cette fois comme il inspira ma vie entière, dont il fut