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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/325

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le tourment et la joie ? À quoi bon ? Jugea-t-on jamais personne selon les principes de la philosophie naturelle et les lois de l’esthétique ? Mais exposons les faits.

Un après-midi d’automne, nous fûmes autorisés, Clément et moi, à nous promener seuls sur le boulevard qui passe devant la maison Sibille. Ce boulevard n’était pas tel alors qu’il est aujourd’hui, bordé par les grilles uniformes qui défendent les jardins. Plus rustique, plus mystérieux et plus beau, il longeait sur une grande étendue le parc royal, clos de murs. Les feuilles mortes tombaient des grands arbres dans un poudroiement de lumière et jonchaient d’or le sol où nous marchions. Clément, qui sautillait, me devança de quelques pas et je vis que sa casquette de drap noir, toute garnie de gros galons grenat, triste de couleur et laide de forme, cachait les jolies petites boucles de ses cheveux blonds et opprimait les pavillons merveilleux de ses oreilles. Cette casquette me déplut. J’eus le tort de n’en pas détourner mes regards et elle me causa un malaise croissant. Enfin, ne pouvant la souffrir, je demandai à mon compagnon de l’ôter. Cette demande, à laquelle il ne trouvait sans doute aucune