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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/329

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— Comme cet enfant est violent ! soupira ma mère.

Ce jugement ne me paraît pas juste malgré les faits qui l’ont motivé. Il est vrai qu’en me comparant à mon gentil ami que les dieux changèrent en papillon, je m’aperçus spontanément que je n’étais ni doux, ni placide comme lui. Et, pour ne rien cacher, mes désirs, plus ardents que ceux de la plupart des enfants, cédaient plus promptement que les leurs à la nécessité. Dès mon âge le plus tendre, la raison exerça sur moi un puissant empire. C’est dire que j’étais un être singulier, car tel n’est pas le cas de la plupart des individus de mon espèce. De toutes les définitions de l’homme, la plus mauvaise me paraît celle qui en fait un animal raisonnable. Je ne me vante pas excessivement en me donnant pour doué de plus de raison que la plupart de ceux de mes semblables que j’ai vus de près ou dont j’ai connu l’histoire. La raison habite rarement les âmes communes et bien plus rarement encore les grands esprits. Je dis la raison et, si vous me demandez comment je prends le terme, je vous répondrai que je le prends dans le sens vulgaire. Si j’y attachais une acception méta-