Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/330

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physique, je ne le comprendrais plus. J’entends le mot comme l’entendait la vieille Mélanie qui « oncques lettres ne lut ». J’appelle raisonnable celui qui accorde sa raison particulière avec la raison universelle, de manière à n’être jamais trop surpris de ce qui arrive et à s’y accommoder tant bien que mal ; j’appelle raisonnable celui qui, observant le désordre de la nature et la folie humaine, ne s’obstine point à y voir de l’ordre et de la sagesse ; j’appelle raisonnable enfin celui qui ne s’efforce pas de l’être.

Je pense que je fus celui-là. Mais de bonne foi, en y songeant, je ne le sais pas et ne me soucie pas de le savoir. Incrédule à l’oracle de Delphes, loin de chercher à me connaître moi-même, je me suis toujours efforcé de m’ignorer. Je tiens la connaissance de soi comme une source de soucis, d’inquiétude et de tourments. Je me suis fréquenté le moins possible. Il m’a paru que la sagesse était de se détourner de soi-même, de s’oublier soi-même, ou de s’imaginer autre qu’on n’est et par la nature et par la fortune. Ignore-toi toi-même, c’est le premier précepte de la sagesse.

S’il est vrai que Montaigne composa ses