Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/339

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renfonçais ce souci dans les obscures profondeurs de mon âme ; je le noyais. À dix ans, j’étais déjà sage au moins sur un point : Je concevais qu’il ne faut rien regretter de ce qui est irréparable, qu’en un mal sans remède, comme dit Malherbe, il n’en faut pas chercher et que se repentir d’une faute, c’est ajouter proprement à un mal un mal pire encore. Il faut se pardonner beaucoup à soi-même pour s’habituer à pardonner beaucoup à autrui. Je me pardonnai mon thème. En passant devant la boutique de l’épicier, je vis des fruits confits qui brillaient dans leur boîte, comme des joyaux dans un écrin de velours blanc. Les cerises faisaient des rubis, l’angélique des émeraudes, les prunes de grosses topazes, et comme, de tous les sens, c’est la vue qui me procure les impressions les plus fortes et les plus profondes, je fus séduit et je déplorai que mes moyens ne me permissent pas d’acheter une de ces boîtes. Mais je n’avais pas assez d’argent. Les plus petites valaient un franc vingt-cinq. Si le regret n’eut point d’empire sur moi, le désir a conduit ma vie entière. Je puis dire que mon existence ne fut qu’un long désir. J’aime désirer ; du désir