Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/58

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— Pierre, laisse cet animal tranquille. Tu sais ce qu’il t’est déjà arrivé avec lui. Crois-m’en : il t’arrivera pis, si tu continues.

Je négligeais ces sages avertissements, et j’eus lieu de m’en repentir. Un jour que je ravageais sa mangeoire et en dissipais indignement les grains de maïs, le vieux Cacique sauta sur moi, embarrassa ses mains dans ma chevelure et de ses ongles aigus me laboura la tête. Si l’aigle ravissant effraya l’enfant Ganymède en le prenant amoureusement dans ses serres de velours, qu’on juge de l’effroi que je ressentis, quand Navarin me tenailla de ses doigts de fer. Je poussai des cris qui retentirent jusque sur les berges de la Seine. Madame Laroque, quittant son éternel tricot, détacha l’Américain de sa proie et le ramena sur son épaule au perchoir. Là, le cou gonflé d’orgueil et les dépouilles de ma chevelure attachées à ses griffes, il me jeta, de son œil flamboyant, un regard de triomphe. Ma défaite était complète, mon humiliation profonde.

À peu de temps de là, m’étant introduit dans notre cuisine où sans cesse mille charmes m’attiraient, j’y trouvai la vieille Mélanie qui hachait avec un couteau du persil sur une