Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/86

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n’éprouvai aucun plaisir à voir sa face de chouette. Elle me donna aussi des consolations, mais les siennes avaient l’air de vieux rogatons comme tout ce qu’elle donnait. C’était une nature trop avare pour apporter des consolations abondantes, fraîches et pures. À table, elle prit la place de ma mère, empêchant ainsi que sur la chaise de cette chère maman s’élevât une lueur imperceptible d’elle, une ombre impalpable, une invisible image, enfin ce qui reste des absents aimés sur les choses qui leur étaient familières.

Cette incongruité m’exaspéra. Dans mon désespoir, je refusai de manger ma soupe et m’enorgueillis de ce refus. Je ne sais plus si je songeai alors qu’en pareille circonstance Finette en aurait fait autant ; mais cela n’était pas de nature à m’humilier, car je reconnaissais que, pour l’instinct et le sentiment, les bêtes l’emportaient de beaucoup sur moi. Ma mère avait commandé un vol-au-vent et de la crème qu’elle avait jugés propres à me distraire de mon chagrin. J’avais refusé la soupe ; j’acceptai le vol-au-vent et la crème et y trouvai quelque soulagement à mes maux.

Après dîner, ma tante Chausson me con-