Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/87

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seilla de jouer avec mon arche de Noé ; ce conseil m’enflamma de fureur. Je répondis de la façon la plus impertinente et, par surcroît, lançai mal à propos des injures à Mélanie, qui dans toute sa sainte vie ne mérita que des louanges.

La pauvre créature me coucha avec un soin délicat, essuya mes larmes et dressa son lit de sangle dans ma chambre. Néanmoins, je ne tardai pas à m’apercevoir des effets terribles de l’abandon où ma mère m’avait laissé. Mais, pour comprendre ce qui m’advint, il faut se rappeler que toutes les nuits, dans cette même chambre, avant de m’endormir, je voyais de mon lit une troupe de petits hommes à grosse tête, bossus, bancals, étrangement difformes, coiffés de feutres à plume, le nez chaussé d’énormes lunettes rondes, qui tenaient divers instruments tels que broches, mandolines, casseroles, tambours de basque, scies, trompettes, béquilles, dont ils tiraient des sons étranges, en dansant des danses grotesques. Leur apparition dans cette chambre, à cette heure, ne m’étonnait plus : je ne connaissais pas assez les lois de la nature pour savoir qu’elle y était contraire. Et, puisqu’elle se pro-