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Page:Anatole France - Les Contes de Jacques Tournebroche.djvu/248

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farinata.

Pourquoi aurais-je eu honte ? Pouvais-je rétablir autrement mon parti dans ma ville ? Je me suis allié à Manfred et aux Siennois. Je me serais allié, s’il eût fallu, à ces géants africains qui n’ont qu’un œil au milieu du front et qui se nourrissent de chair humaine, ainsi que le rapportent les navigateurs vénitiens qui les ont vus. La poursuite d’un tel intérêt n’est point un jeu qu’on joue selon les règles, comme les échecs ou les dames. Si j’avais estimé que tel coup est permis et tel autre défendu, pensez-vous que mes adversaires eussent joué de même ? Non certes, nous ne faisions pas au bord de l’Arbia une partie de dés sous la treille, avec nos tablettes sur nos genoux et de petits cailloux blancs pour marquer les points. Il fallait vaincre. Et cela, l’un et l’autre parti le savait.

Pourtant, je vous accorde, Fra Ambrogio, qu’il eût mieux valu vider notre querelle seuls entre Florentins. La guerre civile est affaire si belle et généreuse et si fine chose, qu’il n’y