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Corse et la força de relâcher à Ajaccio. Tous les habitants de l’Île, accourus pour saluer leur compatriote, couronnaient les hauteurs qui dominent le golfe. Après quelques heures de repos, sur l’avis qu’on reçut que tout le littoral de la France était libre, on fit voile vers Toulon. Le vent était bon, mais faible.

Seul, dans la tranquillité qu’il avait communiquée à tous, Bonaparte commençait à s’agiter, impatient de toucher le sol, portant parfois à son épée sa petite main brusque. L’ardeur de régner qui couvait en lui depuis trois ans, l’étincelle de Lodi, l’enflammait. Un soir, tandis que se perdaient à sa droite les côtes dentelées de l’île natale, il parla tout à coup avec une rapidité qui brouillait les syllabes dans sa bouche :

— Les bavards et les incapables, si l’on n’y mettait ordre, achèveraient la ruine de la France. L’Allemagne perdue à Stockach, l’Italie perdue à la Trebbia ; nos armées battues, nos ministres assassinés, les fournisseurs gorgés d’or, les magasins sans vivres ni effets d’équipement, l’invasion prochaine, voilà