Page:Anatole France - Les Contes de Jacques Tournebroche.djvu/62

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— Non. J’attends de voir Dieu.

Simone la Bardine se fit de sa huque un coussin et dit :

— Tout n’est qu’heur et malheur. J’habite au bout de la rue Saint-Antoine. C’est le plus bel endroit de la ville, et le plus joyeux ; car les meilleures hôtelleries sont sur la place Baudet et aux environs. Avant les guerres, on y trouvait pain chaud et harengs frais et vin d’Auxerre à plein tonneau. Avec les Anglais, la famine est entrée dans la ville. Il n’y a plus ni pain dans la huche ni fagots dans la cheminée. Tour à tour les Armagnacs et les Bourguignons ont bu tout le vin, et il ne reste au cellier qu’une mauvaise piquette de pommes et de prunelles. Les chevaliers armés pour les tournois, les pèlerins couverts de coquilles, le bourdon à la main, les marchands, avec leurs mules et leurs coffres pleins de couteaux ou de petits livres d’Église, ne viennent plus chercher un gîte et faire de bons repas dans la rue Saint-Antoine. Mais les loups sortent des bois et dans les faubourgs, le soir, dévorent les petits enfants.