Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/127

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nait scabreux. Il ajouta qu’il ne la voyait plus guère depuis qu’elle était avec M. Didier, du Crédit Bourguignon. Ce financier avait chassé les artistes ; c’était un personnage guindé, gourmé, plat et ennuyeux.

Jean ne fut ni surpris ni choqué outre mesure d’entendre qu’elle avait un amant, parce que, ayant observé les mœurs des comédiennes dans les proverbes en vers d’Alfred de Musset, il se figurait l’existence de toutes les actrices de Paris comme une fête spirituelle et galante. Il aimait celle-là. Avec ou sans Didier il l’aimait. Elle aurait eu, comme Lesbie, trois cents amants, qu’il l’eût aimée tout autant. N’est-ce point ainsi que vont les passions de tous les hommes ? On aime parce qu’on aime et malgré tout. Quant à se sentir jaloux de M. Didier, il n’y songea même pas. Il n’était pas fou, cet enfant ! Il était jaloux des hommes et des