Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/186

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font point de mal sans raisons sensibles. Et il est vrai de dire que l’homme est plus méchant et plus dénaturé dans ses guerres que les taureaux et que les fourmis dans les leurs. Ce n’est pas tout, et je déteste moins les armées pour la mort qu’elles sèment que pour l’ignorance et la stupidité qui leur font cortège. Il n’est pire ennemi des arts qu’un chef de mercenaires ou de partisans, et d’ordinaire les capitaines ne sont pas mieux formés aux bonnes lettres que leurs soldats. L’habitude d’imposer sa volonté par la force rend un homme de guerre très inhabile à l’éloquence, qui a sa source dans le besoin de persuader. Aussi le militaire affecte-t-il le mépris de la parole et des belles connaissances. Il me souvient d’avoir connu à Séez, du temps que j’étais bibliothécaire de M. l’évêque, un vieux capitaine blanchi sous le harnais et qui passait pour vaillant homme, portant fièrement une large balafre qui lui traversait le visage. C’était un bon paillard qui avait tué beaucoup d’hommes